Total, Crédit Agricole, Société Générale. Ces grands noms représentent pour certains d’entre nous la puissance économique française, pour d’autres les dérives d’un système qui arrive à bout de souffle. Outre leur nationalité commune, ces sociétés détiennent toutes une place de choix au tableau des plus gros montants de pénalités découlant d’une infraction au Foreign Corrupt Practice Act1)Le Foreign Corrupt Practic Act ou FCPA est une loi fédérale luttant contre la corruption d’agents publics étrangers et incitant les entreprises internationales à mettre au point des dispositifs de mise en conformité et de contrôles internes. . En matière de sanctions de la corruption, les américains mènent la danse et l’opportunité extraterritoriale ouverte par la convention de l’OCDE2)Le FCPA avait vocation à ne s’appliquer qu’aux américains jusqu’à l’apparition de la convention anticorruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques en 1997 (OCDE) venant amender le FCPA. L’article 4 de la convention prévoit que : « chaque Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard de la corruption d’un agent public étranger lorsque l’infraction est commise en tout ou partie sur son territoire ». Il a permis de munir le FCPA d’un principe d’extraterritorialité qui permet le rattachement d’un évènement même anodin (utilisation de serveurs informatiques américains dans une opération) au territoire américain justifiant la compétence du Department of Justice(DoJ), équivalent du ministère de la Justice français. n’a fait que favoriser la création de lois extraterritoriales et la recherche de cibles potentielles au-delà des frontières américaines. Dans ce domaine, la France, comme en matière de vin, possèderait les meilleurs grands crus.
Encore aujourd’hui, la revente d’Alstom à General Electric3)Claudia Cohen, « Pourquoi la vente controversée d’Alstom à General Electric fait à nouveau parler d’elle » sur Le Figaro [en ligne], publié le 24 juillet 2019. remet sur le devant de la scène les pratiques en matière de corruption menées par les grands groupes4)A ce sujet, le livre de Frédéric PIERUCCI et Matthieu ARON, « Le piège américain » paru aux éditions Lattés en 2019, retrace les évènements relatifs à la corruption d’agents publics étrangers au sein d’Alstom et ceux ayant précédé son rachat par l’américain General Electric.. Ce scandale politico-industriel fait remonter à la surface les lacunes de notre législation en matière d’anticorruption face à l’impérialisme américain5)Kevin E. DAVIS, « Between Impunity and Imperialism: The Regulation of Transnational Bribery », OUP USA, 2019, p. 41 à 44.. Arme de déstabilisation économique ou affaiblissement du système bancaire6)« Amende BNP : un risque pour le système bancaire ? », sur Le Monde [en ligne], publié le 4 juin 2014., le mobile de cet acharnement importe peu face à la nécessité de le contrer et de protéger toutes les entreprises françaises.
A ce jour, les grands groupes parviennent à trouver une bouée de sauvetage auprès de l’Agence Française Anticorruption (AFA) : en effet, le mécanisme de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) annihile celui de l’engagement de la responsabilité pénale moyennant le paiement d’une amende et la mise en œuvre d’un programme de conformité.
Quid du reste des entreprises ? Le seuil de la loi7)Article 17 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. ne fait entrer que celles employant plus de 500 salariés et justifiant d’un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. En 2017, ce sont 1 600 entreprises concernées par Sapin II pour 3 855 107 entités existantes8)Tableaux de l’économie française, Collection Insee Références, édition 2020.. A la vue de ces chiffres, il se confirme qu’un grand nombre ne sont pas soumises aux enquêtes et aux contrôles de l’AFA, sans pour autant que l’on puisse démontrer l’absence totale de risque de corruption dans certaines de ces entités à fortiori de corruption privée. Elles ne pourront passer par la case CJIP et doivent à ce titre prendre conscience des enjeux relatifs à la prévention et détection de la corruption.
Les infractions aux manquements à la probité ne se limitent pas aux grandes entreprises. S’il est vrai que la corruption d’agents publics étrangers ou non, plus connue et plus sanctionnée9)La corruption active d’agents publics étrangers ou non est réprimée respectivement aux articles 435-1 et 435-3 du Code pénal et punie de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros pour les personnes physiques., se rencontre facilement au sein d’une multinationale, la corruption privée n’épargne aucune entreprise. Et pourtant, aussi connue et grave soit-elle, son arrivée dans l’arsenal juridique pénal français fut tardive. L’insertion des infractions de corruption active et passive en 200510)Loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice. fait suite à l’appel du Conseil de l’Union européenne dans sa décision-cadre de 200311)Décision-cadre 2003/568/JAI du 22 juillet 2003 du Conseil de l’Union européenne demandant aux Etats membres d’instaurer une répression efficace en la matière.. Les articles 445-1 et 445-2 du Code pénal sanctionnent les personnes physiques à hauteur de cinq ans d’emprisonnement et cinq cent mille euros d’amende en matière de corruption privée.
Le législateur n’oublie pas les personnes morales puisque l’article 445-4 du Code pénal prévoit une série de sanctions à destination des entreprises reconnues coupables de corruption privée. La nouvelle version de l’article rapproche l’AFA des entreprises non soumises à Sapin II. En effet, un renvoi est opéré à l’article 131-39-2 du Code pénal qui impose l’obligation pour un contrevenant de se soumettre à un programme de mise en conformité pour une durée maximale de cinq ans sous le contrôle de l’AFA.
Le législateur a pour volonté de voir toutes les entreprises, soumises ou non à Sapin II, se doter de dispositifs de prévention et de lutte contre les infractions de corruption privée. Ceci peut-être dans le but de répondre aux plus hauts standards français et de faire profiter les entités des retombées positives de l’adoption de tels dispositifs.
Sept moyens sont précisés par le législateur et doivent inspirer les entreprises non soumises à Sapin II. Les entités se munissant de dispositifs anticorruptions ont désormais un template et vont pouvoir se calquer sur le programme légal de mise en conformité. Il peut se découper en trois axes : informer, signaler et agir.
Le premier moyen d’éviter une situation risquée est d’informer sur le risque que représente la situation en elle-même. En matière de corruption cela ne fait pas exception. Plus nous sommes conscients des risques, plus nous sommes à même de construire une stratégie de gestion en prenant des mesures adéquates. En 2017, les recommandations de l’OCDE relatives à l’intégrité publique démontraient que la présence de cartographies des risques en matière de corruption en France n’était pas généralisée12)Rapport d’information sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts n° 661 de MM. Fabien MATRAS et Olivier MARLEIX, enregistré le 31 janvier 2018.. Ceci sous-entend que le domaine privé ne fait pas exception dès lors que la lutte contre la corruption a commencé sous l’angle public.
Pour les autorités, la cartographie des risques a pour but de disposer d’une connaissance précise de l’organisation en interne et en externe au regard des situations sensibles et d’identifier les rôles et responsabilités des personnes physiques13)Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme, Agence Française Anticorruption, décembre 2017.. En effet, selon le secteur d’activité et les moyens mis en œuvre pour les activités de l’entreprise, des brèches peuvent se créer et remettre en cause le respect des dispositions légales en matière de corruption. Il est nécessaire d’identifier les risques mais également de les résoudre. La résolution d’un risque n’aboutit pas forcément à des solutions conduisant à le supprimer. L’entreprise devra davantage démontrer sa capacité à le maîtriser dès lors que son secteur d’activité est risqué par nature (défense, matières premières, nouvelles technologies).
Considérée comme un indicateur de performance en matière d’anticorruption, la cartographie va nécessiter un réel travail de fonds pour être conforme.
Avant de parvenir à un inventaire des risques, il faudra pour la personne en charge de la cartographie (compliance officer, conseil, avocat) connaître dans les moindres détails la totalité des processus et sous processus de l’entreprise. Les recommandations de l’AFA attirent l’attention sur le fait que les risques émanent de ces processus. Ainsi, une entité doit réfléchir par actions opérationnelles, même les plus insignifiantes ne faisant pas forcément l’objet d’un contrôle interne et non par département (juridique, financier, ressources humaines) de façon à isoler tous les risques.
Cela implique que les entreprises mettent en place des processus accompagnés de procédures pour chacune des activités (par exemple : recrutement de collaborateurs, signature d’un contrat, achats de fournitures) afin de rechercher dans lesquels peut se loger un risque de corruption privée.
La cartographie des risques est in fine un document qui doit être exhaustif14)Bercy Info, « 10 conseils pour prévenir les risques de corruption dans votre organisation », economie.gouv.fr [en ligne], 06 décembre 2017., formalisé et surtout évolutif. Chaque entité non soumise à Sapin II mais dont l’activité économique est importante doit faire l’effort d’en créer. Ce document servira à deux choses : construire les programmes de conformité anticorruption et inspirer l’écriture et la mise à jour du code de conduite.
Puisque l’information est primordiale, la mise en place d’un code de conduite qualifiant les situations susceptibles de corruption permet de poser les fondations de ce que l’on considère être de la corruption. La rédaction d’un code de conduite semble être, à première vue, assez simple. Encore une fois un tel document doit être : clair, précis et laconique.
Être clair signifie être audible, la lecture ne doit pas nécessiter d’effort : ce code est construit par des juristes et demande d’adopter un langage commun et compréhensible par toute personne de l’entreprise n’ayant pas de formation juridique. Préférer utiliser le terme faveur au terme libéralité ou l’accompagner d’exemples concrets.
L’utilisation d’illustrations est recommandée pour préciser les propos tout en restant pertinent. Puisqu’il est impossible de dérouler toutes les situations, il faut privilégier celles qui sont d’une portée générale (remise d’un cadeau disproportionné) et les accompagner d’illustrations plus spécifiques au secteur d’activité de l’entreprise mis en lumière par la cartographie des risques. La clarté comprend aussi l’esthétisme.
Contrairement au règlement intérieur, il doit être laconique donc « digeste » pour son lecteur. Il ne doit pas se présenter comme un amas de règles s’amoncelant les unes après les autres.
S’il y a une volonté de l’intégrer au règlement intérieur pour lui donner une force contraignante, il n’y en a aucune dans le fait de vouloir confondre ces deux textes. Le Code de conduite est un instrument qui doit être mis à jour même si les modifications sont minimes, il est nécessaire de programmer une relecture tous les deux ou trois ans. A ce jour, il existe des codes de conduite disponibles en ligne ayant plus de six ans pour des grands groupes. Dans sa décision du 7 février 2020, la commission des sanctions de l’AFA prononce une injonction de mise en conformité sur le code de conduite : incomplet (absence de définition et d’illustration) et non calqué sur la cartographie des risques15)AFA, Comité des sanctions, décision n°19-02, 7 février 2020, la décision confirme qu’il s’agit encore d’un exercice non maîtrisé par beaucoup d’entreprises.
A cela s’ajoute la formation des cadres et des professionnels : l’idée est de faire prendre conscience à tous les collaborateurs des enjeux qui gravitent autour de la lutte anticorruption. Opérer des formations in-house reste le meilleur moyen de garder une équipe attentive en permanence sur les situations du quotidien qui de facto amoindrissent leur attention. Privilégier un rythme plus soutenu de formations courtes plutôt que des formations ayant lieu une fois dans l’année s’étalant sur des heures. A contrario de ce que dispense la loi, ne pas réserver ces formations aux cadres ou aux personnels les plus exposés. Privilégier ces personnes dans l’attribution du nombre d’heures de formation, leur réserver des formations spécifiques avec des sujets plus ciblés mais il reste nécessaire de former l’ensemble des employés sur les bases de l’anticorruption. Si les décideurs sont les plus exposés au risque cela ne veut pas dire que l’employé lambda ne sera pas un jour approché ou tenté de commettre un acte frauduleux relevant de la corruption privée.
Enfin, les contrôles comptables internes et externes identifiés par la loi sont essentiels. La comptabilité contient souvent le premier indice d’une opération de corruption que l’on tente de masquer (rémunération des employés, caisse noire, opérations fictives).
Concernant l’instauration de procédures d’évaluation des clients, fournisseurs et intermédiaires, l’AFA recommande une procédure contenant les modalités d’un KYC16)L’expression Know Your Client ou KYC désigne l’ensemble des opérations de vérification d’une personne physique sur la base de documents officiels (carte d’identité, justificatifs de domicile). classique : identifier le client, le pays, l’actionnariat, la réputation, le secteur d’activité et la coopération. Ce dernier élément est à prendre en compte dans les relations avec un tiers. La facilité qu’a un interlocuteur à répondre à vos demandes ou à vos questions et son degré de coopération permettent de se faire une idée du risque qu’il représente pour une entité et pour sa réputation. Un individu se montrant discret, évasif ou pour lequel des éléments semblent manquer pour la compréhension de ses activités représente un risque. Cette partie permettant d’obtenir le maximum d’informations est importante puisque nous ne pouvons appréhender tout ce qui se passe chez un potentiel client, fournisseur ou intermédiaire.
La mise en place de procédures, leur stricte mise en œuvre et leur efficacité conditionnent la bonne marche des opérations. Ceci est particulièrement vrai dans les opérations de croissance externe faisant l’objet d’une attention particulière depuis la publication du guide de l’AFA17)Les vérifications anticorruptions dans le cadre des fusions-acquisitions, Agence française anticorruption, Janvier 2020.. Toutefois, on peut relever avec regret que le dispositif Sapin II ne comporte aucune disposition à destination de ce type d’opérations en matière de conformité.
Des faits de corruption dans une société cible peuvent se révéler désastreux car elle reste responsable et pourrait être condamnée à une amende remettant en cause l’opportunité de l’acquisition.
Si l’anéantissement de l’existence juridique emporte celle de la responsabilité, le fait qu’une cible fasse l’objet d’une acquisition, d’une absorption ou d’une fusion ne purge pas les faits de corruption pas plus que les sanctions qui s’y attachent pour les personnes physiques dans la mesure où les anciens et nouveaux dirigeants pourront être inquiétés.
Il est recommandé par l’AFA et plus largement par les conseils de procéder à des vérifications de conformité spécialement tournées vers la corruption pour toutes les opérations de fusions-acquisitions (pré- et post-intégration). Non effectuée au cours des vérifications juridiques, la désignation d’une équipe de spécialistes en matière d’anticorruption permet de faire diminuer les risques. Le processus à dérouler va plus loin qu’un KYB18)L’expression Know Your Business ou KYB désigne l’ensemble des opérations de vérification d’une personne morale (secteur d’activité, directeurs, des actionnaires, etc.).
Il est conseillé de procéder en trois temps : faire un état des lieux, contrôler et corriger. Les deux premières étapes se font en amont de l’intégration de la cible, la dernière après.
Dans un premier temps, il faut procéder à un état des lieux. Pour les responsables des vérifications anticorruption, il faudra déterminer le point de départ de l’enquête selon des facteurs de risques propres à la cible. Les questions à se poser porteront, entre autres, sur le type d’entité visée, son secteur d’activité et sa position sur le marché, le nombre de salariés qu’elle emploie, la présence de personnes politiquement exposées, le pays où elle est implantée et l’existence potentielle du nom de la cible dans les médias pour des faits négatifs relatifs à la conformité.
Dans un deuxième temps, il est nécessaire de contrôler le dispositif anticorruption en place dans la cible pour définir le degré de résistance de l’entité à des faits de corruption et pour se faire une idée des corrections que l’acquéreur devra apporter. Chaque manquement constaté doit faire l’objet d’une recommandation qui lui permettra in fine d’atteindre un niveau de conformité estimé suffisant au regard de la règlementation. Cette étape va définir, en cas d’absence de dispositifs de prévention et de détection de la corruption ou de dispositifs quasi inefficaces, un plancher et un plafond de risques que l’acquéreur est en mesure de supporter. Le but ne réside pas seulement dans la vérification des mesures prises contre la corruption puisqu’en cas de risque avéré, l’acquéreur pourra se retirer.
Cette étape repose sur une collaboration étroite entre les responsables des vérifications anticorruption et les responsables des opérations de fusions-acquisitions de l’acquéreur car de nombreuses informations et de nombreux documents intéressant l’évaluation de la conformité des dispositifs sont disponibles dans la data room. Des clean teams peuvent intervenir pour permettre l’échange de données hautement sensibles entre vendeur et acquéreur.
Dans un troisième temps, il faudra procéder aux corrections. Tous les manquements constatés en matière d’anticorruption devront faire l’objet d’une remise à niveau pour conforter l’acquéreur dans son opération. Ceci exige beaucoup d’efforts de la part des équipes de conformité et peut durer bien au-delà de l’intégration. Il est donc nécessaire d’avoir prévu en amont, lors la phase de contrôle, la charge de travail que cela impliquera.
Ainsi, les vérifications anticorruption dans ce type d’opérations se justifient aisément dès lors que les conséquences en résultant ne sont pas négligeables. D’abord en matière de coût : le prix à payer par les acquéreurs d’une cible corrompue peut être considérablement gonflé par l’infliction d’une amende et par la remise en conformité entrainant de facto une baisse du taux de rentabilité interne (TRI) initialement envisagé. Puis en matière de responsabilité : elle peut peser des années sur la tête d’anciens et nouveaux dirigeants. En effet, la corruption est une infraction clandestine, ainsi si le délit se prescrit au bout de six ans, la prescription de l’action publique ne commence qu’à partir du moment où elle est révélée19)L’article 9-1 du Code de procédure pénale impose un délai butoir de 12 ans à compter de la commission des faits pour les infractions occultes ou dissimulées. Cela limite la possibilité de poursuivre un individu pour des faits de corruption ad vitam aeternam..
Pour ces raisons l’acquéreur et le vendeur doivent se mettre d’accord sur les moyens à mettre en œuvre pour contenter tous les intérêts en présence (clause de garantie, clause d’earn-out, indemnités).
Le dispositif de conformité anticorruption issu de la trame Sapin II ne se contente pas d’informer mais permet en outre de signaler
La loi préconise la mise en place d’un dispositif interne de signalement émanant d’employés en cas d’observation de comportements et situations contraires au code de conduite de l’entreprise. Le dispositif peut se calquer sur les recommandations de la loi Sapin II et doit pouvoir intégrer le signalement d’un collaborateur externe pour une infraction relative aux manquements à la probité comme un acte de corruption.
La mise en œuvre physique du dispositif relève de la compétence informatique mais son contenu doit être revu avec l’entreprise souhaitant l’implémenter. Il faut s’assurer que le dispositif puisse s’adapter aux besoins de l’entité, qu’il soit ergonomique et facile d’utilisation. Si une entreprise française fait appel à des fournisseurs ou employés étrangers, une plateforme disponible uniquement en français pourrait mettre un non-francophone en difficulté ou le pousserait à renoncer à alerter.
Une des principales questions du dispositif de signalement repose sur la destination finale des alertes. L’obligation que pose Sapin II20)Article 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. se limite à la fonction de la personne : un supérieur hiérarchique direct ou indirect de l’employeur ou à un référent mais n’oblige pas à révéler l’identité de la personne derrière la fonction de référent. Souvent la réticence à faire un signalement proviendra du fait de ne pas savoir chez qui il arrive. Ceci pourrait changer avec la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alertes qui se distancie de la hiérarchisation des canaux de signalement21)Articles 7 et 10 de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. et permet de faire un signalement externe sans devoir passer par la procédure interne, même si elle reste conseillée en l’absence de risque de représailles22)Article 7.2 de la directive (UE) 2019/1937. Celle-ci devra être transposée au plus tard par la France le 17 décembre 2021.
Divulguer l’identité des référents permet de rassurer les collaborateurs qui souhaiteraient faire un signalement dès lors qu’il n’existe pas un service spécifique aux traitements des alertes. De même, il est essentiel de désigner plusieurs personnes en charge de réceptionner les alertes pour envisager l’hypothèse d’un supérieur ou d’un référent désigné directement visé.
Ces recommandations permettent d’assurer à l’entreprise un dispositif efficace. Toutefois l’implémentation au sein de l’entreprise de tous ces dispositifs doit aboutir à des sanctions en cas de non-respect.
Un régime disciplinaire doit être adopté dans le code de conduite pour sanctionner ces violations comprenant, entre autres, toutes violations par les salariés des règles mises en place en matière d’anticorruption. Ce régime doit s’accompagner de mesures concrètes et dissuasives. De ce fait, pour un acte grave, un simple avertissement ne saurait suffire. Bien qu’il s’agisse d’une prérogative sous contrôle de l’entreprise il lui appartient de se montrer exemplaire.
En somme, la circonstance qu’une entreprise ne soit pas soumise à Sapin II importe peu en matière de dispositifs anti-corruption dans la mesure où il lui est indiqué, de façon indirecte, la marche à suivre par l’infliction d’une peine complémentaire reprenant les mesures de l’article 17. Ceci peut paraître surprenant dès lors que le dispositif Sapin II anticorruption émane d’une obligation légale spéciale et que la sanction qui pèse sur les entreprises hors champ ne fait échos à aucune obligation directe en matière d’anticorruption.
Aussi, en matière de corruption privée, des questions restent en suspens. Concernant le rôle de l’AFA : elle contrôle le respect de l’obligation de résultat d’assurer l’« existence »23)Article 131-39-2 I du Code pénal. d’un programme de conformité et sa mise en œuvre. Selon quelles modalités se fait le contrôle ? Sapin II précise ces modalités dans son article 4 pour les entreprises ayant signé une Convention judiciaire d’intérêt public mais aucun renvoi n’existe pour les autres en cas de corruption privée.
Concernant également l’efficacité du programme mis en place : qu’en est-il de la preuve de son efficacité ? Est-elle contrôlée par l’AFA ? L’entreprise et l’AFA disposent d’ « une durée maximale de cinq ans » pour déployer le programme et assurer son « effectivité » et sa « robustesse »24)Les lignes directives du Parquet nationale financier, relatives à la mise en œuvre de la CJIP pour les entreprises soumises à la loi Sapin II, précisent que la durée du programme de conformité permet le contrôle de la mise en œuvre du programme ainsi que son effectivité et sa robustesse. mais s’il n’est pas au point après l’écoulement du temps imparti, que se passe-t-il ? L’efficacité est-elle contrôlée par l’entreprise elle-même ? À cet égard, l’article 131-39-2 du Code pénal ne prévoit pas l’instauration de procédures de contrôle interne pour garantir l’efficacité des dispositifs de lutte contre la corruption privée a contrario de l’article 17 de la loi Sapin II.
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↑1 | Le Foreign Corrupt Practic Act ou FCPA est une loi fédérale luttant contre la corruption d’agents publics étrangers et incitant les entreprises internationales à mettre au point des dispositifs de mise en conformité et de contrôles internes. |
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↑2 | Le FCPA avait vocation à ne s’appliquer qu’aux américains jusqu’à l’apparition de la convention anticorruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques en 1997 (OCDE) venant amender le FCPA. L’article 4 de la convention prévoit que : « chaque Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard de la corruption d’un agent public étranger lorsque l’infraction est commise en tout ou partie sur son territoire ». Il a permis de munir le FCPA d’un principe d’extraterritorialité qui permet le rattachement d’un évènement même anodin (utilisation de serveurs informatiques américains dans une opération) au territoire américain justifiant la compétence du Department of Justice(DoJ), équivalent du ministère de la Justice français. |
↑3 | Claudia Cohen, « Pourquoi la vente controversée d’Alstom à General Electric fait à nouveau parler d’elle » sur Le Figaro [en ligne], publié le 24 juillet 2019. |
↑4 | A ce sujet, le livre de Frédéric PIERUCCI et Matthieu ARON, « Le piège américain » paru aux éditions Lattés en 2019, retrace les évènements relatifs à la corruption d’agents publics étrangers au sein d’Alstom et ceux ayant précédé son rachat par l’américain General Electric. |
↑5 | Kevin E. DAVIS, « Between Impunity and Imperialism: The Regulation of Transnational Bribery », OUP USA, 2019, p. 41 à 44. |
↑6 | « Amende BNP : un risque pour le système bancaire ? », sur Le Monde [en ligne], publié le 4 juin 2014. |
↑7 | Article 17 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. |
↑8 | Tableaux de l’économie française, Collection Insee Références, édition 2020. |
↑9 | La corruption active d’agents publics étrangers ou non est réprimée respectivement aux articles 435-1 et 435-3 du Code pénal et punie de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros pour les personnes physiques. |
↑10 | Loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice. |
↑11 | Décision-cadre 2003/568/JAI du 22 juillet 2003 du Conseil de l’Union européenne demandant aux Etats membres d’instaurer une répression efficace en la matière. |
↑12 | Rapport d’information sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts n° 661 de MM. Fabien MATRAS et Olivier MARLEIX, enregistré le 31 janvier 2018. |
↑13 | Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme, Agence Française Anticorruption, décembre 2017. |
↑14 | Bercy Info, « 10 conseils pour prévenir les risques de corruption dans votre organisation », economie.gouv.fr [en ligne], 06 décembre 2017. |
↑15 | AFA, Comité des sanctions, décision n°19-02, 7 février 2020 |
↑16 | L’expression Know Your Client ou KYC désigne l’ensemble des opérations de vérification d’une personne physique sur la base de documents officiels (carte d’identité, justificatifs de domicile). |
↑17 | Les vérifications anticorruptions dans le cadre des fusions-acquisitions, Agence française anticorruption, Janvier 2020. |
↑18 | L’expression Know Your Business ou KYB désigne l’ensemble des opérations de vérification d’une personne morale (secteur d’activité, directeurs, des actionnaires, etc.) |
↑19 | L’article 9-1 du Code de procédure pénale impose un délai butoir de 12 ans à compter de la commission des faits pour les infractions occultes ou dissimulées. Cela limite la possibilité de poursuivre un individu pour des faits de corruption ad vitam aeternam. |
↑20 | Article 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016. |
↑21 | Articles 7 et 10 de la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. |
↑22 | Article 7.2 de la directive (UE) 2019/1937 |
↑23 | Article 131-39-2 I du Code pénal. |
↑24 | Les lignes directives du Parquet nationale financier, relatives à la mise en œuvre de la CJIP pour les entreprises soumises à la loi Sapin II, précisent que la durée du programme de conformité permet le contrôle de la mise en œuvre du programme ainsi que son effectivité et sa robustesse. |
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