Le code pénal luxembourgeois présente une spécificité absente du droit français, et de nombreux autres droits européens. En effet, le code pénal luxembourgeois prévoit en son article 506-1 point 3), l’auto-blanchiment-détention. Il est prévu en ces termes : « ceux qui ont acquis, détenu ou utilisé des biens visés à l’article 31, paragraphe 2, point 1°, formant l’objet ou le produit, direct ou indirect, des infractions énumérées au point 1) de cet article ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’une ou de plusieurs de ces infractions, sachant, au moment où ils les recevaient, qu’ils provenaient de l’une ou de plusieurs des infractions visées au point 1) ou de la participation à l’une ou plusieurs de ces infractions. »
En des termes plus clairs, le Luxembourg réprime la simple détention du produit d’une infraction. Ainsi, quiconque qui commet une infraction qui relève de l’article 506-1 point 1), et qui peuvent constituer des infractions primaires au blanchiment, commet en réalité un auto-blanchiment détention dès lors qu’il détient le produit de son infraction. Par ailleurs de nombreuses applications de ces dispositions ont eu lieu et soulignent que l’article s’applique à presque chaque infraction qui relève de l’article 506-1. Pour vous montrer une application de cet article intéressons-nous à la jurisprudence. Prenons comme exemple parlant la décision du tribunal d’arrondissement du Luxembourg dans son jugement 1922/2020 du 30 Juillet 2020. En l’espèce, un homme commet un vol de vélo simple, et utilise le vélo. Partant de ce principe le tribunal retient la qualification de blanchiment détention qui trouve à s’appliquer ici en l’espèce puisqu’il détenait par principe le vélo qu’il venait de voler. L’homme a ainsi été condamné pour vol et pour blanchiment détention. On notera donc le côté très extensif de l’application de l’article 506-1 point 3), qui en l’espèce confine à l’absurdité.
Cet article est en cours de débat auprès du parlement luxembourgeois pour opérer une modification qui vise à intégrer la possibilité de poursuivre le blanchiment au Luxembourg quand bien même l’infraction primaire ayant permis l’obtention des fonds est commise dans un autre pays qui ne réprime pas une telle infraction. Cette modification questionne de ce fait l’auto-blanchiment-détention en lien, en effet la modification vise à limiter les peines pour l’auto-blanchiment détention en prévoyant que dans ce cas la peine ne pourra excéder celle prévue par l’infraction primaire. Ce qui n’était pas antérieurement le cas et pouvait engendrer un véritable gonflement des peines par le simple fait de retenir l’infraction d’auto-blanchiment-détention. En tous les cas ces modifications, ne visent pas l’abandon de la condamnation, ni le principe de l’auto-blanchiment-détention. Pour autant cette modification entre en contradiction avec l’article 5-1 du code pénal qui prévoit en cas de cumul d’infraction de retenir la peine, la plus élevée et vient donc créer une contradiction dans l’ordre interne, ainsi le législateur vient contredire un principe fondamental, dans une volonté de limiter l’excès que peut engendrer l’auto-blanchiment-détention en prévoyant des peines fortes pour des infractions qui pourraient être mineures. Ce n’est pas le seul problème d’ordre juridique qu’entraîne l’auto-blanchiment-détention.
En effet c’est un problème de droit fondamental qui vient se poser à la lecture de cet article et qui est soulevé par l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg qui a été consulté par le parlement. Il félicite l’arrêt du gonflement artificiel des peines par l’introduction de la limitation à la peine retenue pour l’infraction primaire. Pour autant, l’existence même de l’auto-blanchiment-détention en droit luxembourgeois est à questionner.
Il convient ici de s’intéresser au fondement de cette infraction, et à sa pertinence, voir sa validité au regard de la constitution luxembourgeoise.
Dans un premier temps, l’existence de cette infraction relève en réalité d’une volonté politique plus que juridique. En effet, il n’existe aucune obligation en matière de droit européen et par ailleurs peu nombreux sont les pays d’Europe à le sanctionner. Ainsi, le conseil d’état dans un avis antérieur à celui de l’ordre des avocats invoque le respect des recommandations du GAFI. Pour autant la recommandation invoquée par le conseil est la n°3 qui pour autant est limitée par les notes interprétatives invoquées par le même conseil d’état : « [l]es pays peuvent prévoir que l’infraction de blanchiment de capitaux ne s’applique pas aux personnes qui ont commis l’infraction sous-jacente, lorsque cela est contraire aux principes fondamentaux de leur droit interne ».
Or il convient de soulever les problèmes liés au fait qu’un juge retienne la qualification d’auto-blanchiment-détention en droit interne et même en matière de droit de l’union.
Dans un premier temps les problèmes soulevés en droit interne se posent au regard de la comparaison avec le recel prévu à l’article 505 du code pénal, qui consiste en la possession ou la détention d’un objet obtenu à l’aide d’un crime ou d’un délit. Ce qui est en réalité la même définition que l’infraction d’auto-blanchiment-détention prévue à l’article 506-1 point 3) défini plus-haut. Or celui qui commet l’infraction ne peut jamais être poursuivi de recel dès lors que celui qui détient le produit de l’infraction est celui qui l’a commise. Malgré l’identité parfaite, les sanctions seront différentes que l’individu soit poursuivi pour auto-blanchiment-détention ou recel. Deux individus ayant commis le même fait d’un point de vue matériel et intellectuel feront l’objet d’un traitement différent. En contradiction donc avec la constitution luxembourgeoise en son article 10 bis posant l’égalité devant la loi.
Par ailleurs ces contradictions et problématiques en droit interne, se posent aussi en droit de l’union et au regard du principe de non bis in idem. En effet, en l’espèce en matière d’auto-blanchiment-détention, c’est la même intention qui anime le malfaiteur, il commet une infraction dans le but d’en tirer un profit. Il n’y a donc qu’un seul comportement, il ne commet rien dans le but de procéder au blanchiment de cet argent obtenu. Il y a donc concours idéal, et conflit de qualification mais il n’y a pas de multiples infractions. Et au regard du droit de l’union on pourra questionner la position actuelle du Luxembourg au regard de l’article 4 du Protocole n°7 à la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « un même fait, autrement qualifié, ne saurait entraîner une double déclaration de culpabilité ». Or en l’espèce, une fraude fiscale qui permet de tirer un bénéfice qui pourrait aussi être qualifié d’auto-blanchiment-détention relève bien du même comportement. La Haute juridiction, dans sa décision de décembre 2016, a cassé un arrêt qui avait condamné un prévenu pour abus de biens sociaux et blanchiment sans retenir des faits constitutifs de blanchiment distincts des versements constitutifs d’abus de biens sociaux, pour violation du principe non bis in idem. En effet, il est contraire à la justice et à ses principes fondamentaux de condamner de deux infractions, un seul et même comportement répréhensible
Ainsi tant au regard du droit de l’union, que du droit interne et des principes fondamentaux du droit, la position du législateur et du conseil d’état sous couvert de suivre à la lettre les recommandations du GAFI qui n’ont pas de force obligatoire, engendre des problématiques réelles. Qui sont d’ailleurs prises en compte au regard de la modification à venir qui pour autant paraît toujours insuffisante au regard des contradictions que le maintien de cette infraction crée.
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