L’affaire José Eduardo dos Santos peut être sans aucun doute qualifiée comme l’affaire de détournement de fonds publics la plus importante de la dernière décennie s’étant déroulée sur la scène Africaine. Auteur présumé d’un détournement de 9,6 milliards d’euros de biens publics, dissimulés dans plusieurs pays à travers le globe, et soutenu par des institutions financières étrangères, José Eduardo dos Santos s’est retrouvé au cœur d’une affaire de corruption à grande échelle. Cette histoire nécessite une compréhension historique, afin de saisir à la fois son ampleur et son caractère structurel.
Pendant plus de 40 ans l’Angola dû faire face à plusieurs guerres successives. D’abord, à la guerre d’indépendance contre la présence Portugaise de 1961 à 1974. Puis, à la guerre civile entre 1975 et 2002, opposant l’Union nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola (UNITA) au Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). Le MPLA, soutenu par l’Union soviétique et Cuba, illustre la manière dont la guerre civile Angolaise n’était autre qu’un exemple de guerre par procuration, typique de l’époque de la guerre froide. Son principal objectif, était de permettre à quelques puissants de mettre la main sur l’appareil étatique, afin de s’approprier les nombreuses ressources présentes sur le territoire.
En effet, tandis que la guerre a longtemps empêché le développement économique d’une partie considérable du pays, l’État s’est vu économiquement renforcé par l’exploitation des ressources, provenant notamment du pétrole et des mines de diamants. À la fin de la guerre, avec la disparition du soutient soviétique, la production pétrolière s’est vu devenir une alternative majeure au financement du gouvernement et connu un essor fulgurant atteignant les 1 million de barils par jours. Les conséquences de ce model ont eu un effet durable sur l’économie et sur la politique de l’Angola. Cela a permis au président Dos Santos, ancien marxiste considéré comme un héros national avant de virer autocrate, de mettre en place un système de clientélisme très sophistiqué. L’objectif étant de récompenser les gagnants de la guerre, dont de nombreux généraux, ce qui permettait de les tenir éloignés du pouvoir politique. Ainsi, centralisant l’économie autour de l’exécutif et de l’armée, tout en régionalisant le développement économique du pays, l’Angola est devenue en 2013 la 3ème plus grande économie d’Afrique, sans pour autant améliorer son indice de développement humain (IDH).
C’est donc à partir de cet héritage soviétique, qu’il est possible de baser sa compréhension du contexte Angolais et de saisir ce qui a permis, à travers une connexion limitée à l’économie internationale et une absence de transparence, à la nationalisation des infrastructures du pays et à la concentration des richesses du pays par l’État et pour l’État. C’est aussi l’héritage du système économique de commandement soviétique, qui a permis à l’Angola de maintenir un système hautement corrompu et opaque durant les 38 ans de présidence de José Eduardo Dos Santos, créant des altérations institutionnelles considérables, à l’État et au public.
Le régime mis en place par le Président José Eduardo Dos Santos élu en 1979, était un gouvernement centralisé aux tendances autoritaires. Il permettait l’appropriation des ressources nationales par le président et son entourage, via l’utilisation de l’appareil gouvernemental. Cette utilisation, lui permettait d’extraire des profits privés de l’économie public, au travers de méthodes légales et extra-légales, tout en bénéficiant d’un niveau élevé de discrétion et un faible niveau de responsabilité au regard des dépenses gouvernementales.
Le Fond Monétaire International (FMI), estime que durant la guerre froide Dos Santos se serai approprié près d’un milliard de dollars par an du budget du gouvernement. Avec la chute de l’empire soviétique, nous aurions pu croire au changement, avec la mise en place d’un processus de libéralisation économique. Cependant, son application abusive a permis au contraire de renforcer la corruption, via la vente de nombreux actifs de l’État, à un prix inférieur à celui du marché, aux membres du réseau de patronage présidentiel. Cela fut l’une des nombreuses étapes qui ont permis à José Eduardo Dos Santos d’assurer le monopole des ressources du pays. En effet, un deuxième pas fut franchi en 2010, lors de l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution visant à augmenter les pouvoirs du président sortant, lui permettant de faire entrer en vigueur des décisions par décret présidentiel. De plus, en parallèle de ces réformes visant à faciliter la corruption dans le pays, la production pétrolière du pays passa de 1 million à 2 millions de barils par jours, et son prix de 20-30 dollars à plus de 100 dollars le baril, qui offrit à l’Angola un PIB de 120 milliards de dollars.
C’est pourquoi la communauté internationale commença à se mobiliser autour de la question Angolaise, et fit très vite pression sur l’exécutif pour : augmenter l’approvisionnement des services publics, mettre en place une législation anti-corruption, et favoriser la transparence dans les secteurs pétrolier et financier. Cependant, bien que l’Angola ait, suite à ces pressions, nettement amélioré ses services afin de rester en conformité formelle avec les normes internationales, et de garantir son accès aux marchés internationaux, la corruption n’a en aucun cas disparut. Au contraire, celle-ci a simplement pris d’autres formes, certes plus complexes et plus subtiles, afin de contourner les lois internationales.
C’est donc au travers de la résistance du système de Dos Santos face aux différentes tentatives d’affaiblissement, et son implantation au cœur de chaque organe vital de l’État, qu’il est possible de constater le caractère systémique et structurel de ce système de patronage centralisé. C’est notamment son appui sur le secteur pétrolier qui lui a permis de développer et de faire prospérer cette corruption polymorphe dans le pays, en impliquant des entreprises contrôlées par l’élite du parti et leurs proches qui privilégiaient leurs intérêts privés, au détriment de leurs responsabilités lié à leurs fonctions. En effet, l’ensemble des « mégaprojets » portés par le gouvernement, étaient dirigés par l’entourage direct de José dos Santos, de sorte à concentrer la gestion des ressources du régime, sur un cercle restreint d’individus faisant office de mini-gouvernement au sein du pouvoir.
C’est pourquoi, l’Angola a longtemps rimé avec la corruption, ayant vu plus de 9,6 milliards d’euros de biens publics détournés, dans plusieurs pays tel que : la Grande-Bretagne, la Suisse, Singapour et les Bermudes. De plus, des poursuites sont menées en Angola avec 715 affaires de corruption, fraude, détournement de fonds et autres délits financiers. Dos Santos est par conséquent accusé d’être à l’origine de l’un des pays les plus corrompus d’Afrique, ignorant les préoccupations de sa population ; tout en favorisant l’exploitation des richesses pétrolières publiques en vue d’amasser une colossale fortune personnelle.
L’ex-président n’est cependant pas le seul accusé au cœur de ce scandale. Des responsables gouvernementaux, des officiers militaires, et ses enfants sont aussi particulièrement visés par les accusations qui dénoncent leur enrichissement personnel, pendant qu’une majorité de la population n’a toujours pas accès aux services essentiels, et vit sous le seuil de pauvreté.
En effet, la fille de l’ex-président, Isabel Dos Santos, directrice de Sonangol, et son défunt Mari Sindika Dokolo, sont également des acteurs majeurs de cette comédie. D’après les « Luanda Leaks », celle qui a longtemps été décrite à la fois comme la femme la plus riche d’Afrique[1] et l’entrepreneuse la plus prospère de son pays, serait parvenue à détourner plus d’un milliard de dollars de fonds publics. Ceux-ci proviendraient principalement de la compagnie pétrolière publique et de la compagnie de diamant et auraient été dissimulé et dispersé dans plus de 400 sociétés à travers le monde. Ce qui scandalise d’avantage, est le rôle qu’aurait joué la communauté internationale en participant à ces transactions, et en octroyant des prêts à Isabel dos Santos.
En outre, le frère d’Isabel Dos Santo et ancien patron du Fonds souverain angolais, José Filomeno Dos Santos, est lui aussi accusé, et condamné à cinq ans de prison en 2020 pour avoir détourné 500 millions de dollars de la banque centrale vers le compte londonien d’une agence du Crédit suisse.[2] L’estimation de ce détournement s’élève cependant à 1,5 milliard de dollars, sur les 5 milliards qu’il aurait supervisé entre 2013 et 2018.
C’est donc dans une véritable croisade contre la corruption que s’engage le nouveau président Joao Lourenço élu en 2017. En effet, la lutte anti-corruption est une priorité absolue au sein du nouveau gouvernement qui a vu le jour suite à la chute du prix du pétrole en 2014 (ayant baissé le PIB du pays à 89 milliards de dollars), et aux insurrections croissantes au sein du pays en réponse à sa détérioration. C’est pourquoi, le président Lourenço, a débuté son mandat en procédant à la destitution de l’ensemble des proches de l’ancien président, tous détenteurs d’une place clef à la tête des institutions, des entreprises publiques, ainsi que de la branche sécuritaire du pays. De plus, le nouveau chef d’État a également décidé d’écarter définitivement la famille Dos Santos, et d’autres proches collaborateurs de postes de haut niveau, de l’État afin de garantir une meilleure gouvernance plus transparente.
Toutefois, bien qu’aujourd’hui Joao Lourenço soit parvenu à reprendre le contrôle de 3,3 milliards de dollars du Fonds souverain angolais, sur les 5 milliards de dollars que dirigeait José Filomeno Dos Santos, et qu’Isabel dos Santos doivent restituer 422 millions d’euros à la société publique Sonangol, le président se retrouve sans cesse entravé par le système mis en place par son prédécesseur. En effet, avant son départ, le président sortant s’est assuré de garantir la protection de sa famille et son immunité, en nommant des fidèles à des postes clés garantissant leurs prospérités. Il s’agit donc d’un bras de fer entre les deux présidents, et d’une interminable chasse aux sorcières pour Joao Lourenço, qui se trouve à devoir épurer chaque organe de l’état, en vue d’assainir l’économie et de récupérer ses actifs. C’est aussi, ce qui explique la volonté imminente du nouveau chef d’État, de faire sauter les garde-fous de l’ancien gouvernement et s’attaquer à la famille Dos Santos.
Aujourd’hui, 5 ans après le départ de José Eduardo Dos Santos, l’Angola est le second producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne. Le pays tente d’attirer les investisseurs, ainsi que d’amorcer une diversification économique, pour amortir les dégâts causés par la mauvaise gouvernance de l’ex-président qui laisse en héritage une dette qui atteint près de 90 % du produit intérieur brut (PIB).
Dans la continuité de cette vision, l’Angola multiplie les emprunts auprès des institutions financières mondiales, notamment au près du FMI, qui en 2018, lui aurait accordé le prêt le plus important octroyé à un État Africain[3] atteignant les 3,7 milliards de dollars.
Cependant, la lutte anticorruption est loin d’être terminée, et s’annonce plus complexe que prévu. En effet, il n’existe toujours pas de résultats tangibles et crédibles en matière d’identification et de rapatriement des fonds publics détournés. D’une part, cela est lié au fait qu’une importante partie du capital ait quitté illégalement le pays et se soit évaporée dans des circuits financiers offshore ou illicites. D’autre part, du fait qu’une partie considérable de ces capitaux continue d’irriguer l’économie mondiale sous forme d’investissements majeurs et récents. De plus, la fin de ce détournement massif de fonds a pour effet de mettre à mal le PIB de certains pays qui bénéficiaient du versement de ces capitaux sur leurs territoires. C’est pour toutes ces raisons, qu’il n’est aujourd’hui possible d’observer qu’une faible baisse dans l’indice de corruption de l’Angola au cours des dernières décennies.
Ainsi, malgré une lutte inépuisable contre la corruption, qui est gage d’amélioration de la qualité de vie de la population locale, l’indice de perception de la corruption dans le secteur public était de 71 points en 2021 en Angola. L’échelle allant de 0 à 100, avec un score qui s’élève proportionnellement à la corruption, l’Angola se classe ainsi à la 135e place mondiale en 2021en terme de corruption. Bien que la tâche s’annonce compliquer pour Joao Lourenço, qui reconnait une forte corruption au sein même de son parti, force est de reconnaitre cependant que la corruption a connu une légère baisse l’année dernière en diminuant de 10 points depuis 2002. Reste à voir si Joao Lourenço parviendra à faire changer de manière substantielle le taux de corruption en Angola, et à mettre un terme au système si bien ficelé de Dos Santos.
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