Le marché de l’art est rythmé par des ventes aux enchères pouvant atteindre des records, comme en témoigne « Salvator Mundi », œuvre attribuée à Leonard de Vinci, vendu en 2017 pour la modique somme de 450 millions de dollars. Il s’agit ici de la peinture la plus chère du monde.
Mis à part ces enchères records qui font la une, Artprice1)Entreprise française de cotation du marché de l’art sur Internet, et de vente d’œuvres d’art en ligne a estimé que le produit global des ventes d’œuvres d’art en 2018 a atteint un total de 15,5 milliards de dollars2)https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-en-2018/bilan-general/, dernière consultation le 25 janvier 2020. Au cours de l’année 2005, le produit généré par leur vente était estimé quant à lui à 4,2 milliards de dollars, ce qui représente une évolution de plus de 265% en un peu plus d’une dizaine d’années.
La question que l’on se pose aujourd’hui est légitime, la croissance exponentielle des prix des œuvres d’art ne serait-elle pas liée à la nécessité pour les acteurs de ce marché de blanchir de l’argent ?
La fiscaliste Virginie HEEM et l’expert David G. HOTTE se sont exprimés sur le sujet pour affirmer que « les opérations de blanchiment et de fraudes fiscales sont courantes et peuvent avoir pour conséquence une hausse soudaine et parfois inexpliquée des prix du marché »3)Virginie HEEM et David G. HOTTE, La Lutte contre le blanchiment de capitaux, L.G.D.J, 12/2004.
L’art de blanchir de l’argent n’est pas à la portée de tous. Toutefois, dans ce milieu, les techniques sont diverses et innombrables. Par exemple, nous pouvons imaginer la situation suivante : un complice décide de mettre une toile aux enchères et le criminel l’acquiert. Le commissaire-priseur se doit donc de remettre l’argent au complice. À la suite de cela, le criminel rend l’œuvre au complice, récupère l’argent, et verse une commission.
Autre technique prisée par les criminels : l’achat d’œuvres d’art via des sociétés offshore, pour en dissimuler le bénéficiaire effectif.
La nature spéculative du marché de l’art permet ainsi de dissimuler aisément des opérations de blanchiment. Les prix pouvant fluctuer, comment détecter des complicités entre acheteurs et vendeurs ? Sans compter le fait que les œuvres en question transitent dans plusieurs pays, tous les éléments sont rassemblés pour permettre de tels montages financiers à visées criminelles.
Les affaires de blanchiment d’argent relatives à ce marché sont certes peu courantes, mais elles demeurent fortement médiatisées. On peut par exemple citer l’affaire Helly NAHMAD, marchand d’art New-Yorkais. Il avait été inculpé, avec une trentaine de complices, pour paris illégaux, complots, et blanchiment d’argent en lien avec la mafia russe. Il a été condamné en 2014 à une peine de prison d’un an et un jour par la justice New-Yorkaise4)https://www.letemps.ch/culture/helly-nahmad-dessous-glauques-commerce-lart, article modifié le 16 décembre 2014 après la libération de Helly NAHMAD, dernière consultation le 25 janvier 2020.
Le marché de l’art, milieu dépeint comme sensiblement propice au blanchiment d’argent du fait de son opacité5)Propos par ailleurs soutenus par Peter D. HARDY, un ancien procureur des Et ats-Unis, qui affirme que « Les œuvres d’art sont des supports très intéressants pour le blanchiment des capitaux », Fond Monétaire International, Finance et développement, Septembre 2019, pages 30 à 34 (https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2019/09/pdf/the-art-of-money-laundering-and-washing-illicit-cash-mashberg.pdf, dernière consultation le 25 janvier 2020), des ports francs et de la volatilité de ses prix, a donc suscité des interrogations quant à une éventuelle régulation.
Ainsi, au lendemain de la mise en œuvre de la 5ème directive européenne contre le blanchiment d’argent, qui devait être transposée en droit national au plus tard le 10 janvier 2020, la situation a évolué. Le marché de l’art se voit- t- il désormais enfermé dans un carcan législatif plus contraignant.
La 5ème directive prévoit que toute personne qui négocie ou incarne le rôle d’intermédiaire dans une transaction artistique, lorsque la valeur de cette dernière est supérieure à 10 000 €, est soumise aux obligations d’évaluations basées sur le risque.
Il est nécessaire d’établir l’identité des clients avant toute transaction et d’obtenir des documents de preuves à l’appui. Le professionnel concerné doit faire preuve de diligence accrue, et évaluer le risque qui pèse sur la transaction. Le bénéficiaire effectif final de la transaction doit par ailleurs être identifié6)Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la Directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les Directives 2009/138/CE et 2013/36/UE.
En France, c’est la loi du 15 mai 20017)Loi n°2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques. L’article L561-2 du code monétaire et financier prévoit que personnes se livrant habituellement au commerce d’antiquités et d’œuvres d’art sont assujettis au dispositif LCB-FT. qui avait prévu pour les marchands d’art l’obligation de respecter le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Ils deviennent ainsi concernés par l’obligation de déclaration de soupçon. Cet assujettissement demeurant longtemps inefficace au vu de l’absence d’autorité de contrôle et de sanction.
Toutefois, les professionnels de l’art semblent réticents à adopter de tels comportements. Cela reviendrait – il à entraver l’anonymat qui prône dans ce milieu ? En effet, selon Bruno DALLES, patron de la cellule anti-blanchiment de Bercy, le nombre de déclaration de soupçon pour blanchiment d’argent demeure faible8)https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/le-marche-de-l-art-est-retif-a-la-lutte-anti-blanchiment_2050785.html, dernière consultation le 25 janvier 2020. Selon TRACFIN, 51 déclarations ont été faites en 2016, et 67 en 20179)Lettre d’actualité aux professionnels de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, TRACFIN, n°16 de juin 2018. Ces résultats déplorent vraisemblablement un manque d’implication des professionnels de l’art dans la lutte contre le blanchiment d’argent.
La question se pose ; la 5ème directive parviendra – t – elle à pallier ce manque de coopération de la part des professionnels de l’art ?
Enfin, ce marché est un milieu qui ne cesse d’évoluer. En 2015, a été créé le responsible art market10)http://responsibleartmarket.org/, dernière consultation le 25 janvier 2020.
Il s’agit là d’une initiative interprofessionnelle créée à Genève, qui a pour objectif de renforcer les pratiques de conformité et de sensibiliser les acteurs de ce marché aux risques encourus. Par ailleurs, la cour d’arbitrage de l’art, CAFA (Court of arbitration for Art)11)https://www.cafa.world/, dernière consultation le 25 janvier 2020 offrira aux acteurs du marché de l’art un règlement alternatif des litiges plus rapide que la voie judiciaire classique.
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↑1 | Entreprise française de cotation du marché de l’art sur Internet, et de vente d’œuvres d’art en ligne |
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↑2 | https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-en-2018/bilan-general/, dernière consultation le 25 janvier 2020 |
↑3 | Virginie HEEM et David G. HOTTE, La Lutte contre le blanchiment de capitaux, L.G.D.J, 12/2004 |
↑4 | https://www.letemps.ch/culture/helly-nahmad-dessous-glauques-commerce-lart, article modifié le 16 décembre 2014 après la libération de Helly NAHMAD, dernière consultation le 25 janvier 2020 |
↑5 | Propos par ailleurs soutenus par Peter D. HARDY, un ancien procureur des Et ats-Unis, qui affirme que « Les œuvres d’art sont des supports très intéressants pour le blanchiment des capitaux », Fond Monétaire International, Finance et développement, Septembre 2019, pages 30 à 34 (https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2019/09/pdf/the-art-of-money-laundering-and-washing-illicit-cash-mashberg.pdf, dernière consultation le 25 janvier 2020) |
↑6 | Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la Directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les Directives 2009/138/CE et 2013/36/UE |
↑7 | Loi n°2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques. L’article L561-2 du code monétaire et financier prévoit que personnes se livrant habituellement au commerce d’antiquités et d’œuvres d’art sont assujettis au dispositif LCB-FT. |
↑8 | https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/le-marche-de-l-art-est-retif-a-la-lutte-anti-blanchiment_2050785.html, dernière consultation le 25 janvier 2020 |
↑9 | Lettre d’actualité aux professionnels de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, TRACFIN, n°16 de juin 2018 |
↑10 | http://responsibleartmarket.org/, dernière consultation le 25 janvier 2020 |
↑11 | https://www.cafa.world/, dernière consultation le 25 janvier 2020 |
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